Résultat du Concours 2021

La nouvelle lauréate du Premier Prix :

Une escapade galante

Jocelyn Witz

 

 

La nouvelle lauréate du Second Prix :

Demain, faut que je pense
à m'acheter des boules de geisha

Alice Lathuillière

 

Bravo aux gagnants ! 

Et merci aux nombreux participants. La qualité des textes reçus nous a ravis ;-).

Le choix a été difficile tant et si bien que nous avons étendu notre sélection à 28 nouvelles. 

Vous pourrez retrouver le recueil à la vente sur www.bod.fr

Bonne lecture à tous et toutes ! 

 

Les nouvelles sélectionnées pour le recueil par le jury :

 

 

Transats et récompenses

Yoann Orell

 

Fin de négociation

Stéphane Douspis

 

Le diable en rit encore

Clotilde Hérault

 

Jeannette

Ludovic Coué

 

Rendez-vous en Orient

May El Murr

 

Grand écart

Marc Legrand

 

Isménie

Patrick Pelot

 

Celui qui observait

François Camoes

 

Les Vestiaires

Nicolas Lecomte

 

Vols de nuit

Lou Boutin

 

La crampe

Alain Marty

 

Parhélies

Annaëlle R. Jacob

 

Nocturnes

Pascal Malosse

 

Mademoiselle paresse

Pierre d'Antigny

 

Le Journal de Justine et Nathan

Clara E.

 

Le maître queux.

Jean Danel

 

Pas un mot !

Bernard Mollet

 

Perdre Pied

Héléna C.

 

La lecture

Jean-Paul Villermé

 

Tout peut se diviser sauf le silence

Thomas Cock

 

Une leçon à trois

Christine Rossier

 

L’origine du monde

Stéphanie Belestel

 

ance photo hot

Patricia Rakotomizaho

 

Les meilleurs amis du monde

Emmanuelle Roué

 

Les choses célestes

Bastien Michel

 

Le Désir assassin

C. M.

 

 

Le recueil est disponible sur le site BOD.fr, fnac.com, Amazon...

En version Papier et en E-Book. 

 

Couverture la boi te a fantasmes 2022

 

 

La nouvelle lauréate du Premier Prix :

 

 

Une escapade galante

Jocelyn Witz

Lauréat du Premier Prix

 

 

Une aventure étrange et excitante ? Ne le sont-elles pas toutes, par définition ?

Pourtant, messieurs, il m’est bel et bien arrivé, il y a de cela nombre d’années, quelque chose d’extrêmement curieux et sensuel à la fois. Je ne prétends d’ailleurs pas que cela se soit passé réellement. On m’a toujours reproché mon imagination exubérante, vous comprenez. De plus, à cette époque, j’avais l’esprit troublé par de nouvelles lectures… Plus ou moins défendues. Prenez, par conséquent, cette histoire pour ce qu’elle vaut, c’est-à-dire rien d’autre qu’un aimable conte.

C’était l’été de mes seize ans. Mes tantes, chez qui je languissais depuis plusieurs semaines, avaient fait un saut en ville, me laissant seule pour l’après-midi. Il s’élevait dans le ciel un soleil si radieux que je ne voulus pour rien au monde m’enfermer dans l’horrible et cuisante mansarde qu’elles appelaient ma chambre. Bien au contraire, pieds nus, drapée d’une impalpable robe à fleurs, une pile d’oreillers sous le bras et mon livre à la main, je sortis m’installer sur la terrasse, à l’ombre d’une tonnelle chargée d’énormes roses rouges.

Je commençais juste un roman, l’un de ceux que mes tantes cachaient dans le grenier. Il s’intitulait banalement Le Roman d’un libertin. Le nom de son auteur s’est, à mon grand regret, effacé de ma mémoire. Quoi qu’il en soit, parcourue d’un délicieux frisson d’expectative, les joues déjà un peu empourprées, je me plongeai dans cette lecture, tandis qu’un bon millier d’oiseaux dissimulés dans les arbres du jardin me berçaient de leur babillage incessant.

N’attendez pas que je vous résume ce livre. Je n’en avais pas lu vingt pages – sans y entendre grand-chose, vu mon inexpérience – qu’une ombre s’abattait soudain sur moi, m’arrachant un sursaut de frayeur.

Un homme se tenait dans l’allée de gravier et me regardait, un sourire ourlant ses lèvres pleines.

Je bondis sur mes pieds. « Que… Comment êtes-vous entré ? En l’absence de mes tantes, je…

– N’ayez crainte, mademoiselle, je suis une de leurs vieilles connaissances. J’ai poussé la porte, espérant avoir le plaisir de les saluer. Mais, puisqu’elles manquent à l’appel, c’est donc que le destin m’a conduit vers vous. Je dépose à vos pieds mes hommages respectueux. »

Sa voix vibrait, grave et joliment modulée, comme s’il chantait doucement. Représentez-vous un homme replet, imposant même. Sa canne de jonc pliait sous son poids. Assurément, il ne venait pas du village. Tandis que je jetais des regards aussi furtifs qu’ébahis à son élégant gilet vert un peu démodé et son ample chemise blanche à jabot, il me dévisagea un long moment.

Puis, ses yeux tombèrent sur le livre entre mes mains. Je piquai un fard et cachai l’ouvrage compromettant dans mon dos.

« Vous aimerez ce livre, affirma l’individu. Il comporte nombre de scènes captivantes, et on ne saurait trop le recommander aux jeunes filles.

– Vous l’avez lu ? demandai-je stupidement.

– Bien mieux.

– Bien mieux ? Voulez-vous dire que vous l’avez écrit ? »

Cette dernière question demeura sans réponse.

D’un pas nonchalant il s’approcha, épousseta de son mouchoir de satin le muret bordant la terrasse et s’y installa. Je réalisai alors que les oiseaux s’étaient tus. Depuis que cet homme avait surgi devant moi, le jardin baignait dans le plus parfait silence, la nature retenait son souffle.

Il s’épongea le front.

« Ma jeune amie, auriez-vous la bonté de m’offrir un verre de vin ? Je vous expliquerai cela. »

Je m’empressai de satisfaire à sa demande. La bouteille du placard étant à moitié pleine, mes tantes ne remarqueraient guère la différence.

Lorsque je fus à nouveau assise sur ma pile de coussins, levant les yeux vers lui, je le vis plisser ses belles lèvres de femme et déclarer sans préambule : « Livre, du latin liber, qui par ailleurs a donné libre. Or, l’essence de l’homme, mademoiselle, à quoi tient-elle ? À la liberté, naturellement. L’homme, à la différence de l’animal, est libre de jouir des plaisirs que l’univers lui procure, et rien, aucun dieu, aucune loi ne doit l’en retenir.

– Il y a tout de même des choses interdites, observai-je, surprise par ma propre audace.

– Qui donc les interdit ? Des prêtres cauteleux ? Des birbes repentants à l’approche de la mort ? De pieux laiderons confits en servile et plate morale ?... Les hommes et leurs absurdes lois !… Mais que veut l’âme, jeune fille ? Que désire la chair ?

– L’âme veut le bien. Quant à la chair... » Une fois de plus, je rougis. « Je l’ignore, avouai-je.

– L’âme veut le bien. Partons de là. Aimez-vous le soleil, l’été, les vacances ?

– Oh, oui !

– À la bonne heure ! Tout cela réjouit à la fois votre âme et votre chair, car il n’y a pas de différence. Vous avez ouvert ce livre en espérant qu’à l’instar du soleil il vous caresserait la peau et vous ferait trembler de bonheur, n’est-ce pas ? Il n’existe pas d’autre loi que cette espérance, cette curiosité à jamais inassouvie, ce désir, en un mot, qui vous a poussé à le chaparder à vos tantes pour le dissimuler sous votre robe, tout contre la soie tendre de votre épigastre, bien décidée à le parcourir à la première occasion pour vous repaître d’images et de propos lascifs. »

En entendant ces mots, je sentais mon cœur cogner à tout rompre.

« Vous ai-je choquée ? reprit-il en souriant. Rien ne devrait choquer de ce à quoi s’adonnent ensemble hommes et femmes lorsqu’une mutuelle inclination seule les guide. Buvez un verre de vin avec moi.

– Moi ? Oh, si mes tantes…

– Elles n’en sauront rien, je vous le promets. Si d’aventure elles vous interrogent, vous leur direz simplement que leur vieil ami Tibère est passé les voir et, affligé de ne point les trouver à la maison, n’a eu de cesse qu’il n’ait lampé, à titre de consolation, trois verres coup sur coup. Venant de moi, ça ne les surprendra guère. »

Docile, je replongeai dans la pénombre fraîche de la cuisine. Avant même d’avoir bu, la tête me tournait, mais je ne pouvais m’empêcher de céder à cet inconnu dont l’étrange discours éveillait en moi toute sorte d’ébranlements agréables. Sous la tonnelle, je remplis son verre puis le mien. Comme je voulais regagner ma place, il me retint par le bras.

« Restez donc près de moi. Et d’abord trinquons. Bravo ! Nous buvons à vos amours.

– Mes amours ?

– Naturellement. Les miennes sont d’ores et déjà toutes tracées, savez-vous ? On ne peut plus y changer une seule ligne. Asseyez-vous là, sur ma cuisse. Ne vous semble-t-elle pas aussi douce et confortable que ces oreillers moelleux que vous aviez apportés ? »

Je dus le lui concéder.

Sa petite main bien dessinée se posa avec délicatesse sur ma hanche. « C’est parce que je ne me refuse aucun plaisir. Les vôtres aussi seront douces à ceux qui vous chériront. Buvez.

– Dieu, qu’il fait chaud !

– Raison de plus pour terminer ce verre, ma belle enfant. Ensuite, je vous lancerai un défi. »

Déjà un peu grise, je gloussai : « Un défi ? »

– N’ayez pas peur de ce que je vais vous dire. Ça n’est qu’un jeu. Je vous défie d’ôter votre culotte avant de vous rasseoir sur les coussins afin de poursuivre votre lecture.

– Ôter ma… Oh ! Monsieur…

– Que craignez-vous ? Vous n’en éprouverez qu’un bien-être supérieur, et je ne vous toucherai pas.

– Ai-je votre parole ?

– Cela va de soi. »

Vidant d’un trait mon verre, je le posai sur le muret et fis deux pas titubants.

« Campez-vous là, devant moi, exigea l’homme en tendant sa canne dans ma direction. Tenez-vous à cet endroit précis et faites-le. Osez ! Comme moi, vous en avez envie, n’est-ce pas ? »

Je hochai lentement la tête. Aucun garçon, a fortiori aucun homme fait, ne m’avait jamais tenu de tels propos, à la fois si aimables et si provocants. Mon interlocuteur sirota une gorgée de vin, se lécha les lèvres avec gourmandise. Sans quitter des yeux son regard clair et affable, je laissai glisser mes mains le long de mes flancs, puis pinçai l’élastique de ma culotte à travers la robe et, me déhanchant un peu, le fis descendre, centimètre après centimètre, jusqu’à mes genoux.

Comme je serrais les jambes, la culotte tomba soudain sur mes pieds, tandis qu’un rire aussi bref qu’enjoué s’échappait de mes lèvres.

« N’est-ce pas... divin ? » susurra le gros homme, les prunelles brillant d’une espèce de feu pâle qui m’étourdissait. « Du bout du pied, à présent, tendez-moi donc cette merveille. »

Oh, si vous saviez comme je respirais fort ! Pourtant, à nouveau, j’obtempérai, telle une hypnotisée, et un long frémissement parcourut tous mes membres lorsque je vis sa main se tendre, effleurer mon pied nu et se refermer sur le coton blanc qui, un instant plus tôt, se trouvait sous ma robe, tout contre mon intimité.

Il froissa la chose, la porta à son visage ainsi qu’un mouchoir parfumé. Il paraissait aux anges.

« Pas de doute : une vie de désir et d’amour vous attend, ma chère... Mais je ne veux pas vous ennuyer plus longtemps. Lisez. Quant à moi, je finirai mon verre et m’en irai sans faire de bruit. »

Le croirez-vous ? Les coussins, lorsque j’y repris ma place, mordirent voluptueusement mes chairs, m’arrachant un soupir que l’homme ne put pas ne pas entendre. Cependant, je n’osais plus lever les yeux sur lui. Les mains tremblantes, je repris mon livre et tâchai d’en démêler l’intrigue. Elle se déroulait dans une gentilhommière au XIXe siècle. L’héroïne, une comtesse d’un certain âge, quoique très belle encore, en arpentait les pièces à grands pas nerveux. Une flamme intérieure semblait la dévorer, une soif la tenailler. Elle cherchait quelqu’un qu’elle n’apercevait nulle part. Vide, le manoir tout entier vibrait d’une attente inquiète.

Et voilà que la comtesse se trouvait à nouveau dans sa chambre, face au grand miroir incliné.

Laissant choir à ses pieds son déshabillé de tulle, elle contemplait son corps superbe. Ses doigts aux ongles peints en caressaient chaque courbe, exploraient le velours d’un ventre frémissant, s’attardaient sur les seins qu’elle avait pointus et toujours fermes. Alors, se retournant, elle se jetait sur le lit avec une sorte de râle et se… se...

Je ne saurais vous dire, messieurs, à quoi elle se livrait au juste. Il ne fait aucun doute que je ne l’ai pas bien compris à l’époque. Souvenez-vous : j’entrais à peine dans l’adolescence. Toujours est-il qu’à ce moment, je sentis quelque chose en moi se liquéfier, puis s’enfler, se dresser comme une énorme vague et... et il faisait nuit tout à coup, je vous assure qu’il faisait nuit !

Et aussitôt les oiseaux se remirent à pépier gaiement.

J’ouvris les yeux, me vis seule sur la terrasse, étendue plutôt qu’assise sur les oreillers. Le livre, à mes côtés, s’était refermé. Quant à ma robe... eh bien, un souffle de vent chaud avait dû la soulever, car elle dévoilait non seulement mes genoux, mais en outre une indécente quoique nacrée longueur de cuisses. Lançant autour de moi un regard affolé, je la rabattis vivement.

Toutefois, il n’y avait pas âme qui vive. Les tempes me battaient un peu et je me sentais brûlante, fiévreuse, égarée. M’étais-je endormie, le nez sur mon roman ? N’avais-je fait que lire ou était-il venu quelqu’un ? Je ne m’en souvenais pas.

Reprenant une posture plus convenable, je feuilletai l’ouvrage sans parvenir à retrouver la page où j’en étais restée. Au hasard, je tombai cependant sur la scène suivante, dont, cette fois, chaque mot se grava dans ma mémoire :

En haut de l’escalier tendu de drap pourpre, elle surgit, nue, échevelée, et l’étreignit avec passion.

« Où étais-tu ? Je t’ai cherché partout.

– Sorti faire un tour, répliqua tranquillement l’homme.

– Et moi qui meurs du désir d’être prise... Viens ! »

La comtesse le poussa, le traîna dans la chambre à coucher, lui arracha des mains sa canne de jonc qu’elle jeta au diable, et entreprit de déboutonner son gilet vert. Sa hâte fébrile la rendait maladroite. Tibère se laissait faire en ronronnant comme un gros chat, sans cesser de lui baiser les cheveux de sa bouche lippue.

Comme elle tombait à genoux pour dégrafer son pantalon, il tira de sa poche un morceau d’étoffe blanche et le renifla pensivement.

« Fais voir, dit la comtesse en se redressant d’un bond. Oh ! Je comprends... » Un sourire canaille éclaira ses traits et, à son tour, rose de plaisir, elle plongea le nez dans la petite culotte. « Tu taquinais encore l’une de ces vierges que tu affectionnes tant. Tu me rendras folle ! »

Je refermai le livre avec un cri d’effroi et, plongeant la main sous ma robe, n’y trouvai qu’une moiteur suspecte trempant mes oreillers.

De culotte, point !

Tout me revenait en mémoire, tout, et je ne doutai pas un instant que ce Tibère ne fût autre que l’homme aux belles lèvres avec qui j’avais échangé auparavant les propos lourds d’érotisme que je vous ai rapportés. Pourtant, comment serait-ce possible ? Avais-je rêvé ? Le protagoniste d’un livre, si épris fût-il de liberté et de plaisirs, ne pouvait tout de même pas…

Sur le moment, je n’eus pas le loisir d’y songer davantage, car Tante Flore surgit de la cuisine, attirée sans doute par mon cri. « Tu étais là ? On te croyait dans ta chambre. Oh ! mais... »

Elle avait aperçu le livre, bien sûr.

Tante Marguerite apparut à son tour. S’il est vrai qu’elles me grondèrent, fronçant le sourcil, l’éclat rieur tapi au fond de leurs prunelles ne m’échappa cependant pas. Je filai me réfugier dans ma mansarde et ne pus jamais, par la suite, découvrir où elles avaient dissimulé ce Roman d’un libertin qui m’avait causé un si grand émoi.

Je ne retrouvai pas davantage ma culotte, du reste. Mais vous savez comme moi, messieurs, que j’en ai égaré bien d’autres, depuis.

 

 

La nouvelle lauréate du Second Prix :

Demain, faut que je pense
à m'acheter des boules de geisha

Alice Lathuillière

 

Demain faut que je pense a m acheter des boules de geisha corrige copie

 

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